Pourquoi c’est mieux d’animer des enfants de foyer plutôt que des gamin·es de bourge ?

Bon, je vous l’accorde, le titre de cet article est plutôt provoc’… Il est le reflet de mon expérience personnelle que je voulais partager. Parce que, perso, comme type de public, je préfère les enfants de foyer aux gamin·es de bourge.

J’ai réfléchi à cet article en écoutant le très intéressant podcast de Caroline Jambon, qui parle notamment de la colère et de la gestion des émotions. Si vous l’avez raté, je vous le conseille chaudement : il est par ici. La colère, qui se transforme quasi systématiquement en violence, je connais plutôt bien parmi ce public d’enfant dit « difficiles ».

Au sommaire de cet article :

Petits préalables pour bien expliciter le contexte de mon propos

Je vous parle bien d’animer des enfants, animer étant entendu au sens étymologique de « donner vie ». J’aurai pu dire « accueillir », « encadrer », « suivre », mais non, c’est bien un choix volontaire de remettre l’animation au cœur de mon propos. Je parle bien de la place qui est la mienne, celle d’animer des temps de loisirs et de vacances (et pas d’école ou d’accompagnement scolaire).

Personnage qui se gratte la tête

Autre préalable, je pars d’un principe fondamental pour moi, à savoir « le milieu de vie joue un rôle capital dans le développement de l’individu. » (Je n’ai pas inventé cette phrase, je cite Gisèle de Failly, fondatrice des Ceméa). Pour moi, cela signifie qu’un·e enfant est avant tout le reflet de son milieu éducatif. C’est notamment cet environnement qui va faire qu’un·e enfant est « difficile », « chiant·e » et tous les adjectifs que vous voulez. Je n’aime pas du tout utiliser ces adjectifs pour qualifier directement les enfants, car c’est les mettre dans une sacré case de laquelle il n’est pas facile de sortir une fois qu’on y est coincé·e. Je pars donc du principe que c’est en grande partie leur milieu de vie et leur histoire qui fait que les enfants vont avoir telle ou telle réaction.

Qu’est-ce que j’entends par « enfants de foyer » et « gamin·es de bourge ». Petite précision, histoire que les publics dont je parle sois bien ciblés et que vous puissiez vous faire une représentation de ce dont je parle.

Image de cible

« Les enfants de foyers »

Quand je parle d’enfants de foyer, ce sont ceux et celles qui ont connu une défaillance dans leur vie de famille, qui a amené à leur placement par la justice en Maison d’Enfants à Caractère Social (MECS) ou toute autre structure collective du même type. La plupart du temps, iels ont été directement touché·es par cette défaillance de la figure parentale. En été, les foyers ferment : ces enfants sont envoyé·es en colo. Il y a donc certains séjours dont le public est composé au moins à moitié de ces enfants.

Quand iels arrivent, nous n’avons pas leur parcours (et tant mieux). Déjà, l’environnement de ces enfants est un lieu de vie collectif. Iels maîtrisent donc mieux que les autres les codes de fonctionnement de ce genre d’espace, où, malheureusement, règne souvent la loi du plus fort. Montrer ses émotions, c’est faire preuve de faiblesse. Et, point primordial mais souvent oublié, l’autorité parentale a merdé sévère, pour eux et elles : la confiance et la relation de respect dans les adultes est donc très largement amochée voire inexistante.

Enfant de foyer jeté par un adulte dans l'eau

« Les gamin·es de bourge »

Plus qu’un milieu social spécifique, je mets derrière cette expression une manière d’être, qui peut se retrouver même sans forcément venir d’un milieu aisé financièrement. Ce que j’appelle « gamin·es de bourge », ce sont ces enfants qui sont tellement mis·es au centre de leur famille qu’iels ne connaissent que leur propre individualité. Venir dans un espace collectif comme un ACEM est donc très compliqué pour eux et elles, car iels ont l’habitude d’avoir une attention quasi permanente des adultes.

Pour attirer l’attention des anims, iels vont mettre en œuvre un certain nombre de mécanisme, tels que des caprices ou de « petites » bêtises (genre embêter sa voisine, celle-ci réagit plus ou moins violemment, ce qui entraîne le premier enfant à venir voir les anims en pleurant parce qu’ « elle m’a tapé »). Arriver dans un espace collectif les laisse souvent perdu·es, car iels n’ont plus de repères.

S’iels viennent en effet d’un milieu aisé, on a en plus un phénomène qui s’ajoute : cet·te enfant blasé·e de tout, qui ne veut rien faire, notamment des activités de conso (activités pensées pour ce type de public en plus !!!). Parce que « bon, le cheval, j’en fais déjà toute l’année, et puis l’accrobranche et l’escalade, j’en ai déjà fait cinq fois, ça m’intéresse plus, pffff visiter une grotte, sérieux, c’est trop nul ».

Enfant blasé qui mâche un chewing gum

Redécouvrir la joie « simple » des activités

Je ne sais pas vous, mais moi une des mes joies quand j’anime, c’est lorsque les enfants sont à fond dans une activité et qu’iels s’éclatent. Je me sens fière de moi et utile.

Quand j’ai travaillé avec des enfants de foyer, il y a souvent une part de méfiance, de retenue. J’y vois un mécanisme de défense, lié à leur histoire et leur lien aux adultes. Il m’est arrivé de réussir à les embarquer dans une activité, où iels sont redevenu·es des enfants « comme les autres » : juste présent·es dans ce qu’iels étaient en train de vivre.

Par rapport aux « gamin·es de bourge », regardant tout ce que je pouvais leur proposer comme si c’était chiant à mourir, j’ai eu la chance de vivre de très beau moment avec des enfants de foyer. C’était souvent dans des animations toutes simples, loin des activités de conso type accrobranches et compagnie. Dans un jeu, dans une activité de création comme de l’argile ou de la peinture.

Et avec parfois des effets étonnants, qui m’ont marqués durablement. Par exemple, nous avions fait un atelier « pain ». Hop, de la farine, de l’eau, du sel, de la levure et chacun en train de pétrir son pâton joyeusement, pour finir par lui donner la forme de son choix. Un enfant de foyer qui participait à cet atelier était tellement fier d’avoir pu faire son pain tout seul qu’une fois sorti du four, il l’a spontanément partagé à toutes les personnes présentes, parce que « c’est moi qui l’ait fait tout seul ». Cette spontanéité dans le partage était complètement inattendue et magnifique, un souvenir qui m’émeut rien que d’y penser.

Enfant de foyer fier de lui

Développer mon écoute active

Chaque enfant que j’accueille teste, d’une manière ou d’une autre, mon autorité. Avec les enfants de foyer, les « tests » de l’autorité sont parfois… originaux disons. J’ai en tête cet enfant, d’une dizaine d’année, qui faisait, sans aucune raison, des trucs complètement inattendus. Rien de dangereux, mais qui pouvait nous mettre en difficulté. Du genre se mettre à hurler (volontairement) au moment où le dortoir commence à s’endormir. Ou à ne pas vouloir bouger d’un pouce à la fin d’un repas. Et bien sûr, plus on entrait en conflit avec lui, plus il se braquait.

Après plusieurs (pénibles) événements de ce type, j’ai pris le temps de me poser avec lui avec cette seule question : pourquoi ? La réponse n’a pas tardé à arriver : il faisait ça quand un adulte lui demandait de faire quelque chose sans lui en expliquer la raison. C’était sa manière à lui d’exprimer son refus de faire quelque chose sans comprendre (même si cela peut être évident pour les adultes).

Arrêter de parler avec son voisin, pas d’accord… parce que c’est l’heure de dormir, d’accord ! Il m’a expliqué ça très calmement et posément, et moi je me suis sentie très humble devant la leçon qu’il me donnait. A partir de là, nous avons systématiquement explicité les demandes faites aux enfants. Et il n’a plus rien fait de « bizarre » du séjour.

Au-delà de la simple anecdote, je crois que cet événement a grandement participé à mon positionnement pédagogique actuel quand aux demandes des adultes. A savoir d’expliciter plus clairement le pourquoi du comment quand on leur demande quelque chose. Et que si on n’est pas en capacité de la faire… et bien peut-être est-ce parce que la demande n’est pas adaptée (ça marche très bien pour questionner la pertinence des objectifs et des règles de vie).

Personne en train d'écouter

Oser la confiance

De manière générale, quel que soit le public, je préfère partir du postulat de confiance, quitte à le resserrer après (plutôt que de serrer beaucoup et ouvrir si les enfants me prouvent qu’on peut leur faire confiance). Je devrais d’ailleurs plutôt dire « nous », car à ce stade je ne suis jamais seule mais bien au sein d’une équipe.

Ouvrir le champ des possibles comme postulat de départ, c’est souvent inhabituel pour le public. S’il y a la difficulté pour l’équipe péda de ne pas se laisser dépasser (ce qui peut vite arriver quand on n’est pas assez préparé), cela permet de créer des moments magiques. De ceux qui marquent, et qui donnent sens à mon engagement.

Pour ce faire, il est important de poser un cadre très clair dès le départ : ok pour plein de chose, on vous fait confiance, mais si vous mettez à mal cette confiance donnée, vous serez les acteurs et actrices du resserrement du cadre. Encore et toujours, mettre l’enfant au cœur du processus, à une place active et non passive.

Illustration de la confiance entre deux personnes

Un petit exemple

Je vous partagerai ces deux garçons d’une dizaine d’années, issus du même foyer en ville. Nous étions en colo à la campagne, le centre avait la chance d’avoir un beau parc et un petit morceau de forêt, le tout clôturé. Le terrain étant montagneux, nous n’avions pas de visibilité sur l’entièreté du terrain depuis les bâtiments. Ces deux enfants ont exprimés la volonté de pouvoir circuler librement dans les espaces verts dans les moments de « temps libre » (je déteste cette expression, mais ce n’est pas le moment) et parfois pendant les temps d’activité.

Nous avons tout de suite dit ok, à une seule condition : qu’ils soient toujours au moins deux, comme ça si l’un se blessait, l’autre pouvait chercher un·e adulte. Qu’est-ce qu’ils ont fait pendant leur balade ? Aucune idée. Mais dès qu’ils le pouvaient, ils étaient loin, sous les arbres.

Deux enfants de foyer dans la forêt

Ont-il comploté, fais des bêtises dans notre dos ? Je ne le saurai jamais. Et peut importe. Peut-être a-t-on réussi simplement à remplir leur besoin de liberté et d’intimité. Durant les quinze jours du séjour, à aucun moment ils n’ont posé de soucis dans le groupe. Et un des deux, m’a dit un soir « moi j’aime la colo, parce que j’oublie avant, quand papa et maman me tapait ». Rien que de l’écrire, plus de dix ans après, ça me donne encore des frissons et les larmes aux yeux.

Découvrir que la violence a besoin de s’exprimer

Certain·es enfants de foyer ont des réactions inattendues, comme je l’ai déjà évoqué. A un moment, avec un inducteur perceptible (ou pas) pour l’extérieur, ça switche dans leur cerveau. Et il se passe un truc, plus ou moins grave, souvent violent. Cette violence fait peur, car elle est soudaine et élevée.

A force d’en voir, je suis arrivée à la conclusion que dans les élans de violence (toujours liés à un déclencheur, même s’il n’est pas perceptible pour les autres), si on ne la laissait pas s’exprimer, elle ressortirait de toute manière. Et du coup la question est, comme pour beaucoup d’autres sujets : comment permettre qu’elle existe dans un cadre sécurisé et sécurisant ? Cela nécessite de s’adapter et d’imaginer de nouvelles choses, pour permettre à cette énergie de sortir et de s’évacuer, pour faire redescendre la température émotionnelle à un niveau où le dialogue est à nouveau possible.

Personnage en train de se battre

Petit exemple

Un enfant de 5 ans (oui, 5 ans et déjà en foyer, ça veut dire que sa vie elle part pas du bon pied), qui, sans qu’on sache trop pourquoi, avait des crises. Et pour le coup avec des actes violents sur les autres, du genre « si je prenais la tête de cette fille assise comme ballon de foot », ou « si je me mettais mordre les autres ». Difficile de discuter du pourquoi avec lui, vu son âge.

On a fini par réussir à capter quand il allait partir en vrille, et du coup à le maintenir (quitte à se prendre des coups, autant que ce soit nous, hein). Ce qui le faisait se mettre à hurler, en mode « je te perce les oreilles tellement c’est aigu ».

Une fois où c’était moi qui le tenais, je l’ai sorti du bâtiment (parce que ça résonnait dans le couloir). Et, une fois dehors, sans réfléchir, je lui ai dit « quoi, c’est tout ce que tu arrives à faire ? Je parie que je peux crier plus fort que toi ». Et j’ai poussé un bon gros cri (franchement, ça m’a fait du bien). Quand je me suis arrêtée, il m’a regardé, puis il a crié, brièvement, et m’a regardé genre « t’as vu ». Et j’ai recrié à mon tour. Etc. Bref, on a fait un concours de cris, jusqu’à ce que la crise soit passée.

Personne en train de crier

En fait, faire un focus sur autre chose (le concours de cri) a permis de « reswitcher » son cerveau, de le faire revenir dans la réalité, je ne sais pas exactement. En tous cas il s’est détendu, et l’épisode de crise est passée. Et s’il a continué à avoir des comportements violents, on a réutilisé cette technique pour faire passer les crises.

Ça me fait penser à ce dont parle Caroline Jambon dans son entretien, sur la question d’être un miroir de l’intensité des émotions que l’enfant ressent. Je vous remets le lien vers le podcast, si vous l’avez loupé.

Donner aux enfants de foyer ce que j’ai reçu

Le public des enfants de foyer, je l’ai découvert directement avec ma première colo en stage BAFA. Au mois de juillet, dans les Alpes, la moitié environ du public des 7-14 ans accueilli vient de foyer. A 18 ans, je me prends ma première grand claque : je découvre que j’ai des privilèges (et des sacrés). Je viens d’un milieu social aisée (oui, oui, je crois bien que j’étais moi-même une « gamine de bourge » héhé) et, au-delà de ça, j’ai des parents qui m’aiment (et qui tiennent la route). Encore fraîchement adolescente (avec toutes les problématiques de rapport à l’autorité parentale lié à cet âge), disons-le, ça fait un choc.

Comme je suis d’un naturel plutôt généreux, j’ai très vite eu envie d’apporter à ces enfants ce que j’avais la chance d’avoir moi-même reçu. J’ai la sensation de pouvoir leur apporter plus qu’à des enfants déjà au centre de leur cellule familiale. J’ai envie, encore plus que pour les autres, qu’iels passent « de bonnes vacances », loin de leur quotidien, avec la possibilité de découvrir un fonctionnement un peu différent. Et un rapport aux adultes différent aussi.

Personne en train de faire un câlin

J’ai bien conscience que la plupart des éducs spé, dans les foyers, font ce qu’iels peuvent, et je ne remets pas leur travail en question. Si je devais critiquer quelque chose, ce serait plus le système en tant que tel et son manque de moyens humains. J’ai aussi conscience que ce dont je parle est justement permis par ce contexte de séjour de vacances, un lieu hors du quotidien, avec un rapport aux adultes « en CDD », c’est-à-dire de court mais intense.

M’impliquer émotionnellement dans la relation, essayer de leur transmettre un peu de bien être, être à leur écoute… Je vois cela comme un don (ça doit être mon syndrome « Mère Thérésa » hihi), car je sais que je n’aurai pas forcément de retours « palpables » de leur part.

Conclusion

Prendre le temps de créer du lien, être à l’écoute de ce qu’iels ont à dire (même si ce n’est pas avec des mots), ne pas les enfermer directement dans une case et éviter de rentrer dans un rapport de force… autant de moments qui participent à la construction de la personne que je suis aujourd’hui et à mes conceptions éducatives au sens large.

Comme chaque enfant que j’accueille, j’ai envie de développer une relation de qualité en prenant en compte ses spécificités. De la même manière que je le fait avec un·e enfant en situation de handicap, mais aussi avec un·e enfant « ordinaire ».

Mains de couleurs différentes

Alors, non, ça ne marche pas toujours. Je peux aussi vous citer ces enfants avec qui nous n’avons pas réussi à créer un lien. A certains moments, c’était trop difficile pour l’équipe, et on a décidé de virer cet·te enfant du séjour. Avec à chaque fois le goût amer de l’échec. Mais on reste des êtres humains, pas plus formé·es à gérer des situations qui nous dépassent concernant des enfants de foyer que formé·es à accueillir des enfants en situation de handicap. Et, oui, il faut être prêt·e à accueillir des comportements violents.

Ce que je peux vous dire, c’est qu’animer des enfants de foyer me fait souvent beaucoup grandir, me dépasser, et innover dans mes pratiques pédagogiques. J’engrange des souvenirs qui donnent du sens à ce que je fais. Je ne peux que vous souhaiter que ce soit aussi votre cas, quel que soit le public que vous animez ! N’hésitez pas à partager votre expérience en commentaire.

Personne qui réfléchit

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