Et voici le deuxième article du vaste sujet qu’est la timidité dans l’animation. Rappelle-toi, le premier article était à destination de tous les timides pour d’abord comprendre ce qu’est la timidité, d’où ça vient, mais aussi comment aider à la gérer de manière concrète dans le monde de l’animation.
Voici maintenant un article à destination de tous les non-timides ; à partir d’une situation concrète, comment apprendre à mieux se comprendre et à travailler en prenant en compte toutes les personnalités ? Quels outils pour construire un environnement basé sur la bienveillance, et ainsi favoriser la confiance en soi au sein du groupe ?
Attention, dans ce cas concret, il ne s’agit pas de juger les réactions des uns et des autres mais bien d’essayer de comprendre les points de vue de chaque personne impliquée pour peut-être ouvrir les horizons.
Au sommaire de cet article
Introduction avec un cas concret
Le meilleur moyen de comprendre pourquoi il est, à mon sens, si important de se poser ces questions liées à la communication et à la compréhension des différentes personnalités que peut composer un groupe, c’est de partir d’une situation concrète. Voici donc l’histoire d’un directeur qui partage une expérience avec une animatrice timide.
Le contexte
Nous sommes dans un ALSH en été. L’effectif du centre est de 80 enfants par jour avec une équipe d’une douzaine d’animateurs et d’animatrices. Le programme est varié : chaque semaine est proposée à la fois des activités sur le centre, des sorties en dehors du centre et des mini-camps – les enfants peuvent ainsi avoir un maximum de choix. Cela demande une organisation bien huilée, où chaque membre doit être présent·e chaque jour au poste assigné.
Bien que le planning soit organisé, le temps de préparation est limité : l’équipe se réunit au complet et décide de qui va faire quoi tous les vendredis soirs pour la semaine suivante en 1h top chrono.
La situation
Lors de l’une de ces réunions de préparation pour la semaine suivante, l’équipe doit décider vite : un peu de retard a été pris pour commencer la réunion, et le bus qui doit emmener le groupe en mini-camp part plus tôt que d’habitude le soir même.
Les membres de l’équipe n’arrivent pas à se décider sur les différents ateliers prévus, c’est donc le directeur qui inscrit au fur et à mesure chacun·e des membres. Le directeur prend le temps de demander à tout le monde si chacun est en confiance et se sent bien dans les activités qu’iel doit encadrer. Personne ne répond, tout le monde veut passer à autre chose pour soit préparer un atelier, soit partir en weekend, soit partir en mini-camp.
Seulement, le lundi suivant, une animatrice ne vient pas à la sortie vélo qu’elle est censée encadrer : le groupe ne peut donc pas partir. Le directeur quitte alors son poste et vient en renfort faute d’avoir quelqu’un d’autre de disponible. Elle n’est jamais revenue sur le centre.
Plus tard, elle s’est confiée à l’un des animateurs de l’équipe qu’elle était timide, qu’elle n’a pas osé dire devant tout le monde qu’elle ne savait pas faire du vélo, et qu’après avoir manqué la sortie, elle ne pouvait physiquement pas revenir et ne pouvait pas s’expliquer.
Les conséquences
Ce qui a été ressenti comme une réaction démesurée et irrationnelle pour le directeur et le reste de l’équipe a amené un certain nombre de conséquences :
- Pour le directeur : sur le coup, il doit ré-organiser toute sa journée, puis tout son planning quand il apprend que son animatrice ne reviendra pas. Un sentiment de stress lié à l’organisation, au fait de devoir trouver quelqu’un d’autre pour la remplacer et de frustration suite à cette réaction qu’il ne comprend pas.
- Pour l’animatrice : un blocage lié à l’anxiété sociale, si fort, qu’elle n’a pas pu s’exprimer en réunion, face à 12 personnes et dans un contexte pressant, et jusqu’au point qu’elle s’est sentie obligée d’abandonner son poste sans prévenir. Le désir de bien faire associé au manque de confiance en soi et à la peur de déplaire, souvent source de la timidité, provoque le retrait et l’évitement.
- Pour le reste de l’équipe : de l’incompréhension vis-à-vis de cette réaction.
Alors, est-que cela aurait-il pu être évité ? Qu’est-ce que l’on peut mettre en place pour favoriser un environnement où chacun·e se sent assez en confiance pour s’exprimer ?
Travailler avec un·e timide
La phase de reconnaissance
Pour pouvoir adapter sa communication à quelqu’un de timide, que ce soit un enfant ou un adulte, encore faut-il l’avoir remarqué. En effet, en commençant la préparation d’un séjour ou d’une saison avec une nouvelle équipe, il n’est pas toujours facile de remarquer tout ce qui se passe à la première réunion.
Le meilleur moyen de prendre la température d’une équipe est alors de se mettre en retrait pour jauger de la personnalité de chacun. Ce n’est pas forcément possible lors des premières heures d’une journée de préparation par exemple, car en tant que directeur ou directrice, tu es peut-être amené·e à mener les différents débats ou à superviser l’avancée des objectifs de la journée. Cependant, tu peux commencer ton observation dès le premier atelier en équipe, la première pause informelle ou la première soirée sans le groupe d’enfant.
Si tu remarques alors une personne à l’air réservé ou qui ne se met pas en avant, mon conseil serait donc de l’observer pour adopter ensuite une communication adaptée. À quel moment se referme-t-iel ? Sur un sujet précis ou sur tous les sujets ? Seulement quand toute l’équipe est ensemble ou tout le temps, même en petit groupe voire en face à face ? Lors d’une prise de parole d’une personne en particulier ? Est-ce que cette personne est toujours attentive en réunion malgré sa discrétion ?
Après cette phase d’observation, la deuxième étape est de discuter avec la personne, en tête à tête et de manière informelle : prendre des nouvelles sur des sujets pas directement liés avec le travail. L’observation et le face à face vont t’amener à savoir si la personne est discrète de manière passagère : le moral à zéro suite à une mauvaise nuit, une mauvaise nouvelle reçue, quelque chose qui la dérange dans l’organisation du centre ? Nous avons tous des hauts et des bas, parfois ça se voit, et c’est plus ou moins éphémère. Mais si la mise en retrait est récurrente, il s’agit peut-être d’une personnalité timide.
Il n’y a pas de comportement universel pour identifier quelqu’un de timide, car la timidité peut se manifester de différentes manières et à différents degrés chez les individus, comme nous avons vu dans le premier article sur le sujet. Cependant, voici quelques signes courants qui peuvent indiquer que quelqu’un est timide :
- L’esquive des situations sociales ou des événements de groupe
- La difficulté à engager ou à maintenir une conversation
- La réticence à poser des questions ou à donner leur opinion
- La peur du jugement
- La réticence à être le centre d’attention
Les petit tips pour mettre en confiance
Une fois reconnu qu’il y a un ou des timides dans l’équipe avec cette phase de reconnaissance, l’entente professionnelle avec les non timides peut parfois être difficile si rien n’est mis en place.
En effet, la gestion d’un animateur ou d’une animatrice timide dans le monde de l’animation peut être un défi, car cela peut affecter sa capacité à interagir avec les enfants et les autres membres de l’équipe, mais également avoir des conséquences plus sérieuses, comme dans l’exemple de la sortie vélo. Voici donc quelques conseils pour favoriser une cohabitation harmonieuse entre timide et non timide et que chacun·e se sente assez en confiance pour s’exprimer.
Un environnement positif
Bienveillant et encourageant pour que chacun·e se sente inclus·e. Par exemple, cela passe par prendre 5 minutes de tour de table avant la réunion pour se dire à chacun·e une chose positive de la journée ou de la semaine. Si tu penses que tu n’as pas le temps de faire cela, demande-toi pourquoi et comment le prendre.
Dans l’étude de la situation mentionnée ci-dessus, on pourrait se demander si la participation de tous les membres est vraiment nécessaire : les personnes qui partent en mini-camp le soir-même ont-elles vraiment besoin de rester sur la planification de la semaine à laquelle elles ne participent pas ? Sans elles, est-ce que le temps accordé à la réunion aurait pu être maintenu à 1h, même en commençant en retard ?
DES missions adaptées aux compétences
Et à la personnalité de chacun. Il faut s’assurer que chacun·e se sente à l’aise avec les tâches confiées, et encore plus si c’est la direction qui impose ces tâches. Cela passe par poser des questions un peu plus poussées que « est-ce que ça ira lundi ? » car toutes personnes réservées en manque de confiance vont dire oui, non seulement pour ne pas se faire remarquer en disant non ou en posant des questions, mais également pour ne pas être la source du prolongement de la réunion.
Dans notre exemple, les questions adaptées peuvent être : « Te sens-tu en capacité d’encadrer une sortie vélo ? », « as-tu un vélo ou as-tu besoin qu’on t’en prête un ? », « Quelles mesures de sécurité comptes-tu mettre en place pour l’encadrement de cette sortie ? ».
Si les réponses à ces questions semblent mettre en difficulté dès ce moment-là, c’est qu’il y a un peut-être un problème dans l’affectation des différents ateliers proposés ou que la personne a besoin d’un accompagnement un peu plus poussé pour assurer son poste.
Même le bon sens est subjectif
Évidemment pour s’assurer des deux premiers points, cela veut dire qu’il faut savoir être patient·e et apprendre à prendre le temps de faire les choses. Gardons en tête que chaque personne n’a pas les mêmes compétences et qualités, et que quelque chose qui est évident pour toi ne le sera pas forcément pour tout le reste de l’équipe.
Et les enfants ?
Si la timidité est installée chez l’adulte, celle-ci se déclenche bien pendant l’enfance comme expliqué dans le premier article sur la timidité. Il n’est alors pas rare de retrouver des enfants ou des jeunes timides dans son groupe.
Alors dédramatisons la timidité ! Celle-ci en tant que mécanisme de défense face à l’anxiété sociale n’est pas forcément négative, et n’est absolument pas un défaut. L’idée est donc d’expliquer à l’enfant timide d’essayer de s’accepter tel que l’on est.
Cependant, il faut éviter d’en parler devant tout le groupe : les phrases types « Pas lui, il est timide » ou « On va l’excuser, il est un peu timide » paraissent anodines mais font croire à l’enfant que c’est un trait de nature et qu’il est impossible de faire autrement. De plus, les timides peuvent être hypersensibles aux paroles qui les concernent : discuter de la timidité avec le reste du groupe ne fera que renforcer la gêne et aggraver la chose.
Et si on prenait simplement le temps ?
Les différents sujets proposés ici sont évidemment à mettre en perspective et ne sont en aucun cas un jugement sur ce qui est mis en place en réalité, et surtout pas sur les réactions décrites dans le cas présenté. Bien sûr, ce qui va marcher avec un groupe ne va pas forcément marcher avec un autre et on ne peut pas anticiper les réactions des un·es et des autres, même si on pense mettre tout en place pour favoriser une communication saine.
Cependant, je suis persuadée que si on prenait vraiment le temps de se comprendre, les personnalités et les limites de chacun, on pourrait s’éviter tout un tas de mésaventure. Je trouve particulièrement intéressant de mettre en application différentes techniques de communication au sein d’un groupe pour voir lesquelles marchent dans tel contexte ou non, et avec quels types de personnalité.
Dans un prochain article, je vais parler des techniques de communication alternatives : il est facile de discuter avec quelqu’un avec qui on est d’accord et qu’on apprécie, mais comment écouter quelqu’un qui est différent dans sa manière de s’exprimer et ses points de vue ?
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